COVID-19 et responsabilité des exécutifs locaux dans l’état d’urgence sanitaire : Rodolphe Alexandre écrit au Premier Ministre

Dans un courrier adressé ce dimanche 3 mai 2020 au Premier ministre, Rodolphe Alexandre, le président de la Collectivité territoriale de Guyane, demande que la responsabilité civile et pénale des élus locaux en Outre-mer ne soit pas engagée dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Un amendement au projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire sera présenté par le sénateur Georges Patient en ce sens.

 

Courrier de Rodolphe Alexandre, président de la Collectivité territoriale de Guyane, adressé au Premier ministre, Edouard Philippe, ce dimanche 3 mai 2020, sur la responsabilité civile et pénale des élus locaux en Outre-mer dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

Objet : Proposition de texte – Responsabilité des Exécutifs locaux dans l’état d’urgence sanitaire

Monsieur le Premier ministre,

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a institué dans ses articles 1 à 8 l’état d’urgence sanitaire.

Les travaux parlementaires tant de l’Assemblée nationale que du Sénat démontrent que l’état d’urgence sanitaire a été conçu et organisé autour des autorités de l’Etat au niveau national et local, les élus locaux ayant été exclus de ce dispositif.

En effet, les nouvelles dispositions insérées dans le code de la santé publique ordonnancent les dispositions de police spéciale en matière sanitaire à trois niveaux de responsabilité :
– Le nouvel article L. 3131-12 du code de la santé publique octroie au premier ministre un pouvoir de police générale en matière de sanitaire dans dix domaines spécifiés ;
– Les nouveaux articles L. 3131-15 du code de la santé publique ainsi que celui de l’article L. 3131-15 du même code octroient un pouvoir de police spécial au ministre chargé de la santé en matière sanitaire ;
– Enfin l’article L. 3131-17 du code de la santé prévoit un pouvoir pour les deux autorités précitées d’habilitation au profit du représentant de l’Etat territorialement compétent.

Dans ce dispositif, il n’a pas été prévu de prérogatives spécifiques au profit du maire qui pourtant est une autorité de police administrative générale dans le droit commun.

Cela est confirmé au demeurant par l’ordonnance Port d’un masque de protection à Sceaux rendue le 17 avril 2020 par le juge des référés du Conseil d’Etat qui a considéré comme illégal l’arrêté du maire de Sceaux imposant le port de masque de protection. Il a jugé que les maires ne peuvent prendre d’autres mesures spécifiques qu’à la condition notamment que celles-ci ne compromettent pas la cohérence et l’efficacité des mesures décidées par l’Etat au niveau national et local.

Dans la loi adoptée, le législateur a mis en place un régime d’irresponsabilité médicale au profit des personnels soignants qui interviennent pendant la période de l’état d’urgence. Ainsi, le nouvel article L. 3131-28 du code de la santé prévoit en conséquence que les dispositions des articles L. 3131 3 (responsabilités liées à l’administration et l’utilisation de médicaments) et L. 3131 4 du code de la santé (responsabilités liées à des affections iatrogènes et nosocomiales prises en charge par l’ONIAM) sont applicables aux dommages résultant des mesures prises en application des articles L. 3131 23, L. 3131 24 et L. 3131 25.

Comme vous le constatez, ce dispositif ne vise que les personnels soignants et aucune autre catégorie d’intervenants juridiques.

Dans la mesure où vous avez, lors de votre déclaration prononcée devant l’Assemblée nationale le mardi 28 avril dernier, souhaité, en votre qualité de Premier ministre, vous appuyer sur les élus locaux, notamment les maires, pour déployer le dispositif de déconfinement en appui des autorités étatiques locales, il conviendrait de clarifier le cadre juridique de cette intervention.

En effet, il appert très clairement que les élus locaux qui interviennent le font, en l’état, sous leur responsabilité propre et celle de leur collectivité et non pas au nom de l’Etat.

Il n’existe pas en droit de mandat d’intervention apparent. Seule une disposition législative expresse peut instituer en application de l’article 34 de la Constitution un régime spécial et dérogatoire de la responsabilité applicable en droit commun.

J’observe qu’une proposition de loi visant à améliorer la protection juridique du maire dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire a été déposée le 24 avril 2020 au Sénat par Monsieur Hervé Maurey afin de régler le point juridique que je vous indique dans la présente.

Cependant, cette proposition ne vise que les élus municipaux alors que les élus régionaux et départementaux sont également concernés, notamment au regard de la gestion des lycées et des collèges qui relève de leur compétence.

Dans ces conditions, je vous propose qu’à l’occasion des débats qui se tiendront sur le projet de loi portant prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il soit adopté un amendement, similaire au régime d’exonération de responsabilité appliqué aux personnels soignants, et qui prévoirait ainsi expressément l’absence de toute responsabilité des élus locaux intervenant dans l’application de mesures d’accompagnement décidées par l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Je me permets de vous formuler à cet effet la proposition de rédaction de texte ci-après :

« La responsabilité civile ou pénale d’un maire, d’un président de région, d’un président de département, du président d’une collectivité à statut particulier régie par l’article 73 de la Constitution, du président d’une collectivité relevant de l’article 74 de la Constitution, du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie ou de tout autre élu de la collectivité territoriale concernée intervenant par délégation ou par suppléance, appelé à mettre en œuvre une décision prise pour appliquer au niveau de son territoire les mesures décidées par les autorités de l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ne peut être engagée que s’il est établi qu’il disposait, d’une part, des moyens donnés par l’Etat de la mettre en œuvre entièrement et, d’autre part, qu’il a commis de façon manifestement délibérée une faute caractérisée.

L’Etat couvrira les élus et leurs collectivités dans le cas où ils seraient poursuivis pour avoir appliqué sur leur territoire les mesures prescrites par les autorités de l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire dans les conditions définies par le premier alinéa ».

L’adoption d’une telle disposition textuelle permettrait de lever les réserves parfaitement fondées émises par de nombreux collègues élus quant à l’ouverture des établissements d’enseignement souhaités à partir du 11 mai 2020, sous la réserve expresse que les exécutifs territoriaux disposent des moyens matériels pour assurer l’exécution des mesures étatiques dans des conditions sanitaires optimales de sécurité et de protection sanitaire pour les élèves.

En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à cette proposition, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma haute considération.

Rodolphe ALEXANDRE

 

Retrouver ci-dessous en version pdf le courrier original ainsi que l’amendement du sénateur Georges Patient.

Courrier du Président de la CTG au Premier ministre

Amendement-G.-Patient-